Perspectives de la société civile sur le différentiel de revenu décent pour les producteurs de cacao
Dans le cadre d'un webinaire IIED, des représentants de la société civile ont discuté des défis et des opportunités liés à la conception et à la mise en œuvre du différentiel de revenu décent pour les producteurs de cacao.
Tout d'abord, qu'est-ce que le différentiel de revenu décent (DRD)? L'offre excédentaire de cacao dans le monde est l'un des nombreux facteurs qui font que les producteurs de cacao ne reçoivent qu'une part très faible des revenus du cacao. La plupart des producteurs vivent dans une extrême pauvreté et ont peu d'activités alternatives génératrices de revenus.
Les secteurs du cacao au Ghana et en Côte d'Ivoire sont tous deux largement dirigés par le gouvernement - du contrôle de la fourniture de services de vulgarisation aux producteurs à la commercialisation de tout le cacao auprès des acheteurs internationaux. Les agences respectives (le Ghana Cocoa Board et le Conseil du Café-Cacao de Côte d'Ivoire) ont collaboré pour établir un mécanisme de fixation des prix afin d'aider les producteurs à gagner un salaire décent - le fameux DRD.
Les deux gouvernements, au début de la saison de récolte du cacao, fixent les prix que les producteurs recevront pour leur cacao. Ces prix couvrent généralement l'ensemble de l'année et offrent aux producteurs un prix garanti ("plancher"). Ce prix plancher est fixe: les producteurs ne peuvent pas négocier pour obtenir des prix plus élevés (en anglais).
Pour la saison de culture 2020-21, les gouvernements du Ghana et de la Côte d'Ivoire ont introduit le DRD pour l'ensemble des ventes de cacao. En appliquant un " différentiel " de 400 USD/tonne au-dessus du prix plancher, le DRD vise à augmenter les revenus des producteurs de cacao pour les aider à atteindre un revenu décent.
Au cours d'un webinaire IIED, des intervenants ont discuté de la question de savoir si le DRD atteint cet objectif, ont examiné les défis de la mise en œuvre du DRD et ont évoqué les moyens de faire entendre les voix des producteurs dans la mise en œuvre du DRD.
Sont intervenus: Evelyn Bahn, conseillère politique sur les droits de l'homme et les entreprises chez INKOTA; Pauline Zei, directrice d'Inades-Formation Côte d'Ivoire; Sandra Kwabea Sarkwah, coordinatrice de projet chez SEND-Ghana et coordinatrice de la Plateforme de la société civile ghanéenne sur le cacao (GCCP); et Ismaila Pomasi, président de l'Association Cocoa Abrabopa (CAA) au Ghana et membre de la GCCP.
DRD: des résultats insuffisants
Comme l'indique le Baromètre du cacao, en octobre 2020, le DRD avait augmenté le prix garanti à la production du cacao au Ghana de 28 %, à 1 837 dollars la tonne, et celui de la Côte d'Ivoire de 21%, à 1.840 dollars.
Mais selon M. Pomasi, ces prix sont encore trop bas : pour gagner suffisamment d'argent pour vivre, les producteurs du Ghana et de la Côte d'Ivoire doivent gagner au moins 3 166 dollars par tonne métrique. M. Pomasi a suggéré qu'une solution possible serait un prix fixe au niveau mondial qui dissuaderait les acheteurs de cacao d'essayer de se procurer des produits moins chers dans d'autres parties du monde.
Une récolte exceptionnelle au cours de la dernière saison de culture a aggravé les problèmes de surproduction et la même chose est prévue pour la prochaine saison. Pendant ce temps, le COVID-19 a fait chuter la demande mondiale de cacao (en anglais).
Le gouvernement ivoirien n'a eu d'autre choix que de baisser le prix à la production pour que les producteurs puissent vendre le reste de leur cacao. Ces réductions ont largement neutralisé les avantages du DRD en termes de revenus; entre-temps, les coopératives et les producteurs ont d'énormes difficultés à vendre le cacao qui n'a pas pu être pré-vendu. Au Ghana, les producteurs attendent toujours le paiement du DRD.
Une partie essentielle de l'accord initial du DRD était de mettre en œuvre des plans qui éviteraient une production excessive afin de ne pas exacerber la surproduction mondiale. Ces plans n'ont pas été mis en œuvre.
Les multinationales esquivent le DRD
Si la plupart des entreprises ont publiquement déclaré leur soutien au DRD, d'autres ont tenté de rejeter ou de contourner les marchés concernés pour éviter de payer les primes. D'autres ont essayé de négocier avec les gouvernements pour faire baisser le prix plancher du producteur.
Un grand fabricant de chocolat a par exemple acheté des volumes importants de cacao sur le marché à terme (en anglais). Ce marché est généralement utilisé pour les opérations de couverture des acheteurs ou la spéculation des fonds de couverture, plutôt que pour l'achat effectif de fèves. Cette décision a permis au fabricant de chocolat d'acheter moins de cacao de Côte d'Ivoire et du Ghana (en anglais) et d'éviter de payer le DRD.
Le Ghana et la Côte d'Ivoire envisagent de dévoiler les noms de ceux qui portent atteinte au DRD (en anglais) et d'annuler leurs programmes de durabilité dans leurs pays respectifs. Mme Kwabea Sarkwah a souligné le fait que les entreprises doivent respecter leurs engagements sur le DRD, et qu'il est donc nécessaire d'augmenter la pression sur ces entreprises pour s'assurer qu'elles paient celui-ci.
Opportunités: garantir une voix aux producteurs dans la conception et la mise en œuvre du DRD et au-delà
Le DRD a le potentiel d'améliorer les moyens de subsistance des producteurs, mais bien que ces derniers soient au cœur des débats sur le revenu décent, les panélistes ont souligné que le développement et la gestion du DRD ont été menés par le gouvernement avec peu d'implication des producteurs ou de la société civile.
Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour remédier aux déséquilibres de pouvoir dans le secteur du cacao. En premier lieu, une véritable inclusion des organisations de la société civile (OSC) locales, des producteurs et de leurs communautés dans les discussions concernant la mise en œuvre du DRD et le revenu décent.
Mme Bahn a souligné la nécessité d'un soutien logistique, technique et financier pour permettre une participation significative dans les processus de prise de décision et a partagé les détails de la formation qu'INKOTA fournit aux OSC, aux coopératives et aux producteurs.
Mme Zei a souligné que pour que les représentants des producteurs soient légitimes, ils doivent être en mesure de refléter les points de vue de tous les producteurs, et pas seulement ceux de quelques coopératives. Selon Mme Zei et Mme Kwabea Sarkwah, les plates-formes mises en place en Côte d'Ivoire et au Ghana pour que les représentants des producteurs fassent pression sur leurs États respectifs et influencent les politiques liées au cacao, notamment le DRD, sont cruciales.
Pour renforcer la capacité d’agir des producteurs, le panel a souligné l'importance pour ces derniers d'avoir une parole forte et informée, capable de faire des choix et d'apporter des changements en fonction de leurs priorités. Au-delà du DRD, il peut s’agir d’établir des dialogues visant à influencer les politiques et les pratiques des entreprises de manière plus générale, ou de faire d'autres choix de moyens de subsistance.
Certains producteurs cherchent ou bénéficient d'un soutien (par exemple de la part d'Inades Formation et d'Inkota) pour mieux accéder aux données sur la chaîne de valeur du cacao (acteurs clés, coûts de production, calcul du revenu décent, etc.), et le GCCP s'efforce collectivement (agriculteurs, OSC, ONG, syndicat ouvrier, médias) d'influencer les politiques pour améliorer la production, la gestion de l'environnement et les revenus des agriculteurs, ainsi que d'explorer des alternatives à la culture du cacao.
Parmi les autres problèmes clés qui affectent le secteur du cacao et les producteurs et qui doivent être résolus figurent la déforestation, la durabilité, le travail des enfants et le respect des droits humains. Les pays ont commencé à adopter des réglementations en matière de diligence raisonnable pour tenter de résoudre ces problèmes, et l'UE travaille actuellement sur une proposition de cadre obligatoire de diligence raisonnable au niveau européen.
Mais, comme l'a souligné Mme Kwabea Sarkwah, les producteurs de cacao et leurs communautés doivent être pleinement impliqués dans ces processus de réforme. Pour M. Pomasi, une fois que les producteurs disposeront d'un revenu vital garanti, il sera plus facile d'aborder ces questions.
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- La présentation de Pauline Zei est disponible sur le site SlideShare de l'IIED