Vers une meilleure exploitation minière du cobalt
Alors que le monde post-Covid-19 tâche de « reconstruire en mieux », la situation n’a guère évolué pour les mineurs de cobalt artisanal en République démocratique du Congo (RDC). Au cours des 12 derniers mois, les recherches menées par l’IIED en partenariat avec Afrewatch RDC ont montré que les efforts naissants pour améliorer le secteur risquent de créer des « îlots de responsabilité » et d’échouer à mettre en œuvre les importants changements sociétaux et environnementaux découlant du principe visant à « reconstruire en mieux ».
L’OCDE fournit un aperçu du principe visant à « reconstruire en mieux » (en anglais): il s’agit d’une initiative dont l’objectif est d’éviter le retour au statu quo ainsi que les investissements et activités néfastes pour l’environnement qui caractérisaient le monde d’avant le COVID-19.
Deux éléments sont au cœur de cette initiative : un renforcement de la résilience sociétale (un plus grand bien-être, plus d’égalité, une meilleure inclusion) et un renforcement de la résilience environnementale (des stratégies adaptées au changement climatique et une plus grande circularité des chaînes d’approvisionnement).
Le secteur du cobalt artisanal illustre certaines des contradictions existant dans le secteur de l’énergie verte et l’initiative « reconstruire en mieux ».
Le cobalt est un métal indispensable dans la technologie des batteries qui favorise la transition vers des véhicules électriques plus « écolos ». Il constitue également une source de revenu pour 150 000 à 200 000 mineurs artisanaux et les personnes qu'ils ont à charge dans les régions défavorisées de la RDC.
Toutefois, l’exploitation minière du cobalt, industrielle et artisanale, a d'importants impacts sur l’environnement tels que la destruction des habitats, la pollution de l’eau et de l’air. Et le secteur du cobalt artisanal, qui fournit entre 10 et 30 % de la production de la RDC (le plus gros fournisseur de cobalt au monde) destinée à l’export, est en proie à de graves difficultés sociales et en matière de droits humains. On peut notamment citer le travail des enfants, le travail forcé et l’exploitation sexuelle des femmes et filles.
La première conséquence de la pandémie de COVID-19 sur le secteur du cobalt artisanal a été l’instauration d’un confinement de cinq mois d’avril à septembre 2020 lors duquel l’exploitation technique de l’ensemble des mines devait cesser. D’importantes difficultés en matière d’exportation ont entraîné une réduction de la demande en cobalt et du nombre de négociants.
Dans l’incapacité de trouver un autre emploi ou de bénéficier des filets de protection sociale, certains mineurs ont continué à travailler. Pour la même quantité d’heures d'un travail exténuant, les mineurs ont été contraints d’accepter des prix nettement inférieurs (parfois un tiers des prix d’avant le COVID-19) dans le seul but de couvrir leurs dépenses.
Une fois le confinement levé, on a pourtant assisté davantage à un retour au statu quo qu’à une « reconstruction en mieux ». Les prix du cobalt sont repartis à la hausse début 2021 (en anglais) et ont atteint des niveaux qui n’avaient pas été observés depuis 2018.
Le gouvernement congolais et de puissants acteurs de la chaîne d’approvisionnement ont travaillé dur pour remodeler l’image et les pratiques du secteur. Toutefois, il ressort des recherches menées à cet égard par l’IIED et Afrewatch au cours de l’année écoulée que la structure actuelle de ces initiatives risque de créer des « îlots de responsabilité » dans un océan de perpétuelle marginalisation, ce qui aurait pour effet de renforcer, et non de réduire, les inégalités existant entre les puissantes multinationales et les mineurs locaux.
L’OCDE a identifié un facteur clé de vulnérabilité dans nos sociétés et notre système économique: « privilégier la croissance et l’efficience économiques à court terme aux dépens de la résilience à long terme peut avoir un coût colossal pour la société ».
Il ressort des conversations menées dans le cadre de nos recherches que la culture d’entreprise capitaliste qui continue à dominer les débats sur un « approvisionnement en minerais plus responsable » est incompatible avec les perspectives à plus long terme qui doivent être adoptées afin de provoquer un changement structurel du secteur du cobalt artisanal.
Parmi les principales difficultés identifiées par les mineurs eux-mêmes, on peut citer:
- L’insuffisance des zones d’exploitation minière artisanale visées par un permis (qui devraient aussi disposer de réserves de cobalt avérées et de fonds pour entreprendre les travaux de fondation requis),
- Une tarification et une évaluation de la valeur marchande injustes et déloyales pénalisant les mineurs de cobalt, et
- Une coopérative de travailleurs non représentative et non démocratique.
Des mesures clés sont requises afin de garantir la résilience et l’inclusivité du secteur du cobalt.
Une plus grande inclusivité et égalité dans le secteur du cobalt artisanal en RDC nécessitent d’octroyer en priorité aux mineurs artisanaux des permis sur des réserves de cobalt avérées.
Actuellement, des compagnies minières industrielles, dont l’entreprise parapublique Gécamines, disposent de permis sur une grande partie de la Copperbelt de la RDC. Pour une plus grande égalité en faveur des mineurs artisanaux, les décideurs politiques doivent s’attaquer au problème de la préférence accordée à l’exploitation minière industrielle dans les décisions prises par le secteur minier.
Ils doivent également éliminer les obstacles au changement créés par le système de paiements « informels » aux élites politiques qui tirent profit du secteur artisanal informel.
Une plus grande égalité passe par une tarification plus équitable et un salaire décent pour les mineurs artisanaux, à la hauteur de la richesse créée dans les chaînes d’approvisionnement des biens fonctionnant sur batterie.
Des efforts concrets doivent également être déployés afin de mettre un terme à la discrimination endémique fondée sur le genre. Au sein du secteur de l’exploitation minière artisanale, les femmes restent culturellement et donc économiquement marginalisées. Pourtant, le secteur pourrait offrir aux femmes des revenus plus importants que ceux issus de l’agriculture ou des services (en anglais).
Dans une optique de plus grande inclusivité, les mineurs doivent avoir accès aux espaces décisionnels pour y faire entendre leur voix.
De nombreuses initiatives actuelles en matière de chaîne d’approvisionnement et initiatives gouvernementales ont trop peu impliqué les mineurs de façon directe dans l’élaboration de normes d’approvisionnement en cobalt artisanal, alors que de telles décisions ont des conséquences directes sur leurs moyens de subsistance. Cela conduit inévitablement à la mise en place d’activités inadaptées, qui ne permettent pas de susciter un changement des pratiques à grande échelle.
Les mineurs, tant hommes que femmes, doivent également être mieux représentés au sein des structures coopératives locales qui sont actuellement considérées comme le principal instrument sur le chemin de la formalisation.
Bien que nos recherches ne se soient pas penchées sur les impacts environnementaux, le fait que la région soit un importateur net de denrées alimentaires provenant de Zambie illustre les défis liés à la culture vivrière dans les zones réservées à l’exploitation minière (en anglais).
Des efforts plus importants doivent être consentis afin de placer les questions liées à la sécurité alimentaire, au changement climatique et à la résilience environnementale au cœur des discussions menées dans les cercles politiques de la RDC et au niveau de la chaîne d’approvisionnement, par exemple au sein de la Global Battery Alliance (en anglais) et du Partenariat d’action pour le cobalt (en anglais).