La transition vers l'objectif « zéro net » ouvre-t-elle la voie à une nouvelle ère pour l'industrialisation de l'Afrique ?

Les pays africains riches en minerais se tournent vers des partenariats stratégiques bilatéraux et régionaux pour tirer parti de la transition vers le « zéro émission nette ». Mais comment peuvent-ils mettre cette quête de minéraux critiques au service du développement durable de la région ?

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Rose Mosi
Chercheuse senior au sein du programme Droit, économie et justice de l'IIED
17 May 2024
Landscape with a mine and blue sky.

Mine de manganèse à Mkushi, Province centrale, Zambie (Photo: Rose Mosi, IIED)

Le virage mondial vers les technologies énergétiques propres pour lutter contre le changement climatique a entraîné une forte demande de minéraux critiques tels que le cobalt, le lithium, le cuivre et le nickel. 

Le secteur des transports représente à lui seul environ 30 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (en anglais), ce qui démontre son importance dans la poursuite des objectifs « zéro émission nette » (« zéro net »). C'est pourquoi les États-Unis (en anglais), l'Union européenne (PDF en anglais) et la Chine (en anglais) sont à la tête du marché mondial des véhicules électriques (VE), avec des subventions pour encourager leur adoption. 

Les batteries au lithium, en particulier, sont essentielles à la transition vers les VE. Pour les pays du Sud riches en ressources, des partenariats stratégiques peuvent donc être décisifs pour exploiter la demande croissante de minerais critiques pour l'industrialisation. 

Minéraux critiques : une nouvelle opportunité pour l'Afrique ?

Si les minéraux critiques posent de nouveaux défis pour la sécurité énergétique mondiale (PDF en anglais), ils pourraient offrir des opportunités à certaines nations africaines. Selon le scénario de développement durable de l'Agence internationale de l'énergie (en anglais), d'ici 2040, la demande de cuivre pour les technologies énergétiques propres augmentera de 40 %, celle de nickel et de cobalt de 60 à 70 %, et celle de lithium de près de 90 %. 

En tant que source première de minéraux critiques, l'Afrique occupe une position stratégique dans la transition vers l'énergie zéro net. Pour optimiser cette position de force, l'Afrique doit s'assurer qu'il existe un cadre soigneusement conçu pour l'exploitation des minéraux critiques qui non seulement profite à son économie, mais contribue également à son développement durable. Au cours des précédents cycles d'expansion, les pays africains ont été pillés de leurs vastes ressources.

Depuis lors, les dirigeants africains ont espéré que l'extraction minière serve de fer de lance au développement, mais la plupart des pays n'y sont pas parvenus, en particulier au niveau local. Le développement ne peut être significatif que s'il satisfait les besoins fondamentaux de la société, tels que le logement, les conditions sanitaires, l'eau potable, l'éducation, la santé et les infrastructures qui favorisent les moyens de subsistance.

Pour que ce type de développement puisse se concrétiser grâce aux minéraux critiques, les gouvernements africains doivent penser différemment l'exploitation des minéraux. Ils doivent former des partenariats stratégiques pour développer des chaînes de valeur des minéraux sur le continent.

Accélérer les chaînes de valeur locales grâce aux partenariats

La demande en minéraux critiques est apparue à un moment où l'Union africaine a mis l'accent sur des partenariats significatifs et sur la valorisation des minéraux bruts (en anglais) par le biais de politiques et d'accords à l'échelle du continent, tels que la Vision du régime minier de l'Afrique (PDF) et la Zone de libre-échange continentale africaine (PDF) (ZLECAf). L'impulsion régionale en faveur de cette valorisation a conduit plusieurs pays africains à adopter des politiques qui favorisent la transformation et la fabrication au niveau local (PDF)

Dans la région, on observe un changement notable de politique visant à promouvoir les partenariats bilatéraux et régionaux. De tels accords sont fréquents dans les projets liés aux minéraux critiques, car ils permettent aux pays de tirer parti ensemble de leurs importantes réserves minérales. 

L'accord de coopération conclu en 2022 entre la Zambie et la République démocratique du Congo (RDC) en vue d'établir une unité de production commune de batteries et de précurseurs pour batteries destinées aux VE en est un exemple.

Dans ce cas, la Zambie et la RDC tirent parti de leur abondance de cuivre et de cobalt pour la transition énergétique. La Zambie et la RDC sont actuellement les huitième et quatrième producteurs mondiaux de cuivre, respectivement, et exploitent toutes deux le cobalt utilisé dans la production de batteries lithium-ion. La RDC est actuellement le plus grand producteur de cobalt au monde, fournissant environ 70 % de la production mondiale.

En pratique, le partenariat RDC-Zambie nécessite d'importantes ressources et compétences infrastructurelles, techniques et financières pour se concrétiser. Les deux pays ont créé le Conseil de la batterie RDC-Zambie pour soutenir la mise en œuvre de l'accord. 

La mise en place et l'exploitation de l'usine nécessiteront différents niveaux de coopération : élaboration de lois et de politiques nationales, attribution de terres, création de zones économiques spéciales, accès à une source d'énergie stable, construction de l'usine, achat d'équipements, formation du personnel, accords de gestion, accords de prélèvement, partage des bénéfices, etc. 

Le partenariat entre ces pays voisins est stratégique et se démarque de la norme en Afrique où, le plus souvent, les pays extraient et exportent leurs minerais bruts pour stimuler leurs propres économies.

Le partenariat entre la RDC et la Zambie est différent mais complémentaire de l'accord la ZLECAf (en anglais). Il permet aux deux pays d'ajouter de la valeur à leurs minerais et de commercer conjointement avec d'autres pays, tandis que la ZLECAf vise à faciliter le commerce régional en réduisant les formalités administratives afin de promouvoir la libre circulation des personnes et des biens à travers l'Afrique. Ainsi, le partenariat entre la RDC et la Zambie peut être utile pour étudier les aspects pratiques de la mise en œuvre d'une collaboration régionale plus large dans le cadre de la ZLECAf. 

De la politique à la pratique

Pour soutenir la mise en œuvre de l'accord de coopération Zambie-RDC, la Zambie et la RDC ont signé un accord-cadre avec la Banque africaine d'import-export (Afreximbank) et la Commission économique pour l'Afrique des Nations unies (CEA), en vue de la création de zones économiques spéciales pour la production de VE et de batteries. 

En parallèle, la Zambie et la RDC ont signé un protocole d'accord (en anglais) avec les États-Unis pour soutenir le développement d'une chaîne de valeur pour les batteries de VE. Bien que cet accord ne soit pas juridiquement contraignant, il jette les bases d'une collaboration future dans le secteur des VE.

Mais pour qu'une usine de production de batteries de VE puisse voir le jour, la Zambie et la RDC devront d'abord relever des défis systémiques majeurs au niveau national et continental. Les deux pays auront besoin de financement, d'un renforcement des compétences et des capacités techniques, et d'un renforcement de leur gouvernance et de leurs systèmes économiques. 

À l'échelon de la fabrication, ils devront se procurer d'autres minéraux nécessaires à la production de batteries en plus du cobalt, garantir une énergie fiable et abordable pour le processus de fabrication, et veiller à ne pas consacrer une part trop importante de leurs minerais à l'exportation. 

Au niveau continental, ces accords devront être harmonisés afin d'éviter la duplication des efforts et nécessiteront une base de référence sur des questions clés telles que les garanties environnementales et sociales.

Quelles sont les prochaines étapes ?

La résilience de l'économie mondiale, qui dépend actuellement des technologies pour les énergies propres, nécessite un approvisionnement viable et pérenne en minéraux critiques. 

Si l'Afrique entend bénéficier de la transition vers l'énergie zéro net, ses dirigeants devront conclure des accords de coopération régionale soigneusement conçus, dotés d'un financement et d'une mise en œuvre appropriés, et adopter une approche régionale coordonnée pour garantir le succès de leurs initiatives. 

Des accords tels que celui conclu entre la Zambie et la RDC pourraient servir de ballon d'essai pour la mise en œuvre de la ZLECAf et de tout ce qu'il pourrait offrir - intégration des marchés, facilitation des échanges et réalisation des Objectifs de développement durable.

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Rose Mosi ([email protected]) est chercheuse senior au sein du programme Droit, économie et justice de l'IIED 

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