Une étude montre comment la formation permet aux femmes de prendre conscience de leurs droits fonciers

Une étude récente menée dans deux communes sénégalaises a montré comment la complémentarité d’interventions visant à promouvoir une gouvernance foncière inclusive aide les femmes à revendiquer leur accès à la terre. Mais les disparités de résultats entre certaines zones des communes et le recours aux pratiques coutumières comme moyen privilégié d'accès à la terre ont mis en évidence le fait que les stratégies et les approches des OSC doivent refléter les réalités locales et veiller à ce que les femmes de différents groupes et régions géographiques en bénéficient également.

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Aissata Hathié et Ibrahima Dia, assistants associés, pôle gouvernance foncière, IED Afrique
27 May 2021
Collection
What works for women’s land rights?
A series of blogs looking at ways to strengthen women’s access to and control over land in Africa
Women working the land

Women working the land in Mbadakhoune, Kaolack region, Senegal (Photo: copyright Ibrahima Dia)

Malgré un cadre juridique favorable, au Sénégal les femmes – qui représentent une grande partie (68%) de la main-d'œuvre agricole – sont confrontées à de nombreuses difficultés pour accéder à la terre, lesquelles sont aggravées par d'importantes pressions commerciales.

Les disparités en matière d'accès au foncier accentuent les inégalités entre les hommes et les femmes et creusent l'écart de pauvreté entre les sexes. C'est particulièrement le cas dans les zones rurales.

Pour traiter ce problème, l'IIED et IED Afrique ont mis en place le projet "Genre, terre et redevabilité".

En janvier 2021, dans le cadre d'une nouvelle phase de ce projet, IED Afrique a collecté des données quantitatives et qualitatives afin de réaliser une étude de base ayant pour but d’identifier les défis auxquels les femmes sont confrontées pour accéder au foncier dans deux communes: Darou Khoudoss située dans la région de Thiès et Mbadakhoune (région de Kaolack).

Il ressort des données que les femmes de Darou Khoudoss – où IED Afrique avait mis en œuvre les phases précédentes du projet – étaient très conscientes des enjeux fonciers et étaient déterminées à faire valoir leurs droits.

Comme en témoigne Ndeye Ndack Mbaye, présidente d'un groupement de femmes de Darou Khoudoss et conseillère municipale : « Par le passé, les femmes n'osaient pas revendiquer la terre et leurs droits n'étaient pas pris en compte. Souvent, elles ne réclamaient pas leur part d'héritage.

Les femmes de notre communauté ont maintenant la détermination nécessaire pour accéder à la terre. Elles sont également plus conscientes de l'énorme potentiel économique que représente la terre. »

Ndeye Ndack Mbaye explique que ces changements sont le résultat de nombreuses sessions de renforcement des capacités et de formation sur les droits fonciers, organisées en grande partie par des OSC locales.

A Mbadakhoune en revanche, les femmes n'ont pas bénéficié du type de formation dispensée par les OSC à Darou Khoudoss. Nos recherches montrent qu’elles ne cherchent pas activement à accéder à la terre et sont moins au fait des droits et procédures fonciers.

"Ici à Mbadakhoune, certaines femmes ne savent même pas qu'elles ont le droit d'accéder à la terre et de la contrôler, et d'autres ne savent pas comment accéder à cette terre", a expliqué Adam Diouf, présidente de l'Union des groupements de promotion féminine de Mbadakhoune.

Aicha Sy, présidente d’un groupement de promotion féminine et conseillère départementale ajoute : "aucune femme de Mbadakhoune n'a fait de demande d'attribution de terre auprès de la commune. Nous ne connaissons même pas les procédures d'accès à la terre."

Des interventions multiples conduisent à une plus grande sensibilisation aux questions foncières…

Darou Khoudoss est fortement impacté par la présence de compagnies minières et de la zone de restauration (domaine classé), ce qui a conduit à une réduction de l’assiette foncière dans la commune. Les interventions – menées principalement par des OSC sénégalaises – ont contribué à promouvoir une meilleure gouvernance foncière et à renforcer les droits fonciers des femmes.

Elles ont inclus des activités de renforcement des capacités sur la législation foncière qui ciblent les femmes locales; des activités de sensibilisation sur les droits fonciers des femmes; un soutien aux demandes d'allocation de terres et le développement d'outils pour une gouvernance foncière inclusive.

Mbadakhoune, en revanche, a connu très peu d'interventions visant à promouvoir la bonne gouvernance foncière locale et les droits fonciers des femmes – bien que les pressions sur les terres y deviennent une préoccupation croissante.

Les interventions multiples et complémentaires à Darou Khoudoss ont clairement contribué à sensibiliser les femmes aux questions foncières et à renforcer leur détermination à revendiquer des terres. Selon le chef du village: "Ces dernières années, avec les différentes campagnes de sensibilisation et de formation menées par les ONG locales sur les droits fonciers des femmes, les femmes sont de plus en plus conscientes des problèmes fonciers et revendiquent désormais leur part du foncier." 

Women taking sitting in chairs

Training workshop for women in Mbayéne, Thiès Region, Senegal (Photo: copyright Boubacar Sow)

…mais le contrôle des femmes sur la terre reste précaire

Les données de Darou Khoudoss montrent que, grâce à une meilleure connaissance de leurs droits, les femmes accèdent davantage au foncier. Mais cet accès reste relativement limité : 42% des femmes ont accès à la terre contre 72% pour les hommes. Des efforts supplémentaires sont nécessaires.

Les données montrent également que les femmes accèdent à la terre principalement par l'achat et l'héritage, deux modes d'accès traditionnels qui bien que socialement légitimes ne sont pas légalement reconnus (par opposition à l'accès via l'allocation de terres par le conseil municipal).

Il est intéressant de noter que, dans cette situation, l'accès formel à la terre pour les deux sexes est similaire : seulement 6% des femmes comme des hommes ont un accès formel à la terre. Cela suggère qu'en dépit des multiples interventions, ni les hommes ni les femmes ne privilégient les moyens formels d'accès à la terre qui leur donneraient une sécurité d'occupation aux yeux de la loi.

Cette situation peut s'expliquer en partie par la disponibilité limitée de terres dans la commune en raison de la présence des sociétés minières et d'une zone de restauration (classée). Mais nous pensons qu'elle est aussi largement le résultat de pratiques coutumières historiques dominantes, plus légitimes socialement et que les membres de la communauté considèrent donc comme plus " sûres ".

Cela nous rappelle que les pratiques de gouvernance foncière du Sénégal sont complexes – et qu'il est important d'adopter des politiques et des lois qui reconnaissent les réalités locales. L'accès des femmes à la terre ne peut pas être abordé de façon compartimentée, mais doit être intégrée au sein d’une réflexion plus large sur l’aptitude du système formel de gouvernance foncière à protéger les droits fonciers légitimes.

À Darou Khoudoss, nous avons en outre constaté des disparités importantes entre les différents villages en termes de sensibilisation aux questions foncières - la prise de conscience des enjeux fonciers dans les villages les plus éloignés du centre de la commune est notamment beaucoup plus faible.

Cela est probablement dû à la manière dont les OSC mettent en œuvre les activités de renforcement des capacités et de sensibilisation, car elles ont tendance à cibler les mêmes groupes d'acteurs : les dirigeants politiques, les responsables des groupes de femmes et les autorités du village, dont la plupart vivent dans la zone centrale de la commune. Par conséquent, les interventions n'atteignent souvent pas les villages plus éloignés.

Les organisations intervenantes devraient chercher à diversifier les personnes qu'elles ciblent, et à développer des stratégies afin qu’elles touchent des géographies et des acteurs plus variés.

Néanmoins, nous tenons à souligner que le changement induit par les interventions locales est itératif et peut prendre du temps – les progrès doivent être mesurés sur le long terme.

Cependant, si nous voulons renforcer les droits fonciers des femmes au Sénégal, il est nécessaire que les décideurs politiques mettent en œuvre des politiques qui prennent en compte la complexité des pratiques de gouvernance foncière au Sénégal; il est également nécessaire que les OSC coordonnent leurs interventions et s'assurent qu'elles touchent un éventail diversifié d'acteurs.

IED Afrique est en train de reconsidérer son approche et sa stratégie pour renforcer la propriété foncière des femmes afin de prendre en compte ces points et développer des approches plus adaptées.

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Aissata Hathie, assistant associé, pôle gouvernance foncière, IED Afrique

Ibrahima Dia, assistant associé, pôle gouvernance foncière, IED Afrique

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