Surmonter les obstacles à la sécurisation foncière des femmes en Guinée
Alors que la Guinée a lancé une nouvelle réforme de sa gouvernance foncière, Nentébou Barry, directrice de C-DEV, une ONG militant pour les droits des populations vulnérables, relate l’expérience qu’elle a menée avec succès pour renforcer l’accès à la terre des femmes en leur redonnant la parole.
Oumou Diallo est mariée et mère de huit enfants. Elle préside le groupement de femmes Mounanfangny de Katougouma (préfecture de Boké, dans le nord-ouest de la Guinée). Le groupement a été initialement créé pour mobiliser des tontines, sortes de caisses communes remises à tour de rôle à chacune des membres pour ses besoins personnels.
Comme beaucoup d’autres femmes de Mounanfangny, Oumou pratique la culture maraîchère durant la saison sèche et les cultures vivrières pendant la saison des pluies. Elle vend une partie de sa récolte au marché hebdomadaire et utilise le reste pour subvenir aux besoins de sa famille. Avec l’arrivée de projets miniers dans la région et l’expropriation de terres qui s’en est suivie, les femmes du groupement ont vu leur accès à la terre menacé par la surpopulation, la spéculation, le développement d’infrastructures et d’autres pressions foncières.
Un accès au foncier précaire
Même si l’exploitation minière est présente à Boké depuis le début des années 1970, c’est à partir du milieu des années 2010 que la région fait l’objet d’un véritable boom minier. Près de 15 sociétés minières y opèrent. Ces activités extractives créent d’importantes pressions sur les ressources foncières, et en particulier sur les terres destinées à l’agriculture, menaçant les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire des communautés locales. Les femmes sont les premières à être affectées par ces pressions du fait de la précarité de leur accès au foncier.
En effet, selon les pratiques coutumières, extrêmement courantes en milieu rural, les femmes ne disposent généralement que d’un accès non sécurisé à la terre et ne peuvent pas être propriétaires. C’est le cas d’Oumou Diallo et des femmes du groupement, dont l’accès se faisait par prêt informel sans aucune forme de documentation. Cette précarité est accentuée par un régime juridique foncier peu adapté aux réalités des communautés rurales.
Une approche intégrée pour sécuriser les droits des femmes
J’ai co-fondé l’organisation féminine Créativité et Développement (C-DEV) en 2018 pour promouvoir les droits économiques, sociaux et culturels des populations vulnérables dans les localités impactées par les grands projets de développement en Guinée. Constatant la fragilisation foncière des femmes de Boké, C-DEV a entrepris en 2020 de renforcer la structuration et la dynamique communautaire des groupements impactés par les activités minières, dans le but d’aider les femmes à sécuriser collectivement leurs droits fonciers.
Après une étude légère dans la zone concernée avec l’ONG ACORD (membre du Collectif des OSC pour la Défense des droits des Communautés – le CODEC, dont fait aussi partie C-DEV) pour mieux comprendre les défis auxquels les femmes étaient confrontées, nous avons mis en place une série d’activités sur la base de nos conclusions.
Nous avons tout d’abord organisé des sessions de sensibilisation en faveur de dix groupements de femmes particulièrement affectés par les activités minières, dont Mounanfangny. Ces sessions ont porté sur les questions de genre, les lois, les droits fonciers et les recours en cas de violations desdits droits, ainsi que sur les procédures juridiques, administratives et coutumières d’acquisitions foncières.
En marge de ces activités, les hommes ont manifesté leur opposition à l’idée que les droits fonciers des femmes soient renforcés. Pour faire évoluer les positions, nous avons entamé un dialogue et un plaidoyer entre les propriétaires terriens et les groupements des femmes. L’objectif était de mettre en lumière les contraintes auxquelles les femmes font face pour avoir un accès sécurisé au foncier ; et notamment la façon dont les préjugés, les coutumes et les mœurs affectent négativement l’accès équitable des femmes aux terres agricoles.
Ces sessions de dialogue ont été tenues par les animatrices de C-DEV accompagnées des leaders communautaires. Étant donné le taux d’analphabétisme au sein des communautés, il était important d’utiliser des outils de communication adaptés afin de faciliter la compréhension. Nous avons par exemple développé une boite à images, série de dessins qui illustrent le sujet accompagnés de questions pour faire débattre et répondre les participantes. Cet outil a été particulièrement apprécié par Oumou et d’autres dans les groupes.
Prendre la parole, gagner en confiance
En parallèle, nous avons renforcé le cadre de concertation trimestriel regroupant les hommes, les propriétaires terriens, les élus locaux, les chefs coutumiers et les représentants d’une des sociétés minières présentes dans la zone, afin que les femmes puissent y participer. Le but était que les parties prenantes puissent envisager ensemble comment surmonter les obstacles auxquels les femmes sont confrontées, et comment prendre en compte leurs droits dans les processus de compensation et d’indemnisation liés aux projets miniers.
C-DEV a organisé huit réunions au total sur une période d’un an. Au début du processus, les femmes n’osaient pas donner leur point de vue en présence des hommes en positions de pouvoir (élus locaux, chefs coutumiers, propriétaires terriens), car cela est traditionnellement considéré comme un manque de respect. Mais petit à petit, elles ont gagné en confiance et se sont mobilisées pour faire respecter leurs droits, n’hésitant plus à prendre la parole et à se plaindre auprès des acteurs locaux en cas de violation. Oumou Diallo n’a ainsi pas hésité à jouer le rôle d’intermédiaire communautaire, s’exprimant devant tous au nom des femmes de son groupement.
Après de multiples échanges, les propriétaires terriens ont finalement accepté d’accorder aux dix groupements de femmes des attestations de prêt écrites, signées par les autorités communales. Ces attestations permettent aux groupments de formaliser et sécuriser leur accès collectif à des terres agricoles. Elles leur donnent un droit d’usage et d’exploitation exclusif des terres pour une durée de dix ans. Un géomètre a mesuré les périmètres pour les délimiter.
Grâce à ces attestations, les terres des groupements bénéficient d’une protection contre la spéculation et les autres pressions foncières résultant des activités minières. Cela motive également les femmes et leur donne confiance pour faire valoir leurs droits, comme l’exprime Oumou Diallo : « Avant on pouvait avoir des terres à cultiver sans aucune sécurité soit par prêt ou par bail. Depuis qu’on a commencé à suivre les formations avec C-DEV, nous avons compris que chaque transaction foncière devrait se solder par la signature d’un contrat de sécurisation. »
Un processus prometteur à mettre à l’échelle
La sécurisation foncière n’est cependant qu’un aspect de l’autonomisation des femmes rurales ; en parallèle des dialogues nous avons donc accompagné quatre groupements dans la structuration, la rédaction et la recherche de financement pour des microprojets : appuis à la production, à la transformation ou à la commercialisation de produits maraîchers, ou encore valorisation des techniques traditionnelles de conservation. Grâce à ce travail, nous avons notamment fait inscrire le plan d’action de ces groupements dans le plan de développement local de la commune afin qu’ils puissent bénéficier de financements locaux.
Si l’ensemble de ces activités ont permis de sécuriser localement les droits fonciers de dix groupements de femmes, le chemin pour une sécurisation systématique au niveau national est encore long. Les décideurs politiques qui conduisent le processus de réforme foncière en cours en Guinée gagneraient à prendre en compte les résultats positifs que nous avons obtenus. Il pourrait par exemple être utile de mettre en place de façon systématique les pratiques que nous avons expérimentées dans le cadre de projets d’investissement à grande emprise foncière.
Et la future politique foncière rurale devrait reconnaître l’importance et les modalités de formalisation des droits fonciers des femmes.