En Zambie, les chefs traditionnels font évoluer les normes en matière de genre et renforcent les droits fonciers des femmes

La blogueuse invitée Patricia Malasha décrit comment les dialogues au niveau communautaire ont remis en cause les normes de genre nuisibles qui entravent les droits des femmes à la terre.

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Insight by 
Patricia Malasha
Patricia Malasha est conseillère en matière de genre et d'inclusion sociale pour le programme "Gouvernance intégrée des terres et des ressources"
01 July 2022
Collection
What works for women’s land rights?
A series of insights looking at ways to strengthen women’s access to and control over land in Africa
A group of people pose for a photo outside, with trees in the background. There is a banner in the middle

USAID supported traditional leaders to participate in a series of dialogues to spark action to shift gender norms that hinder women’s land rights in Zambia (Photo: copyright Howard Mang'wato)

Dans beaucoup de régions d'Afrique, les terres ne sont pas attribuées et héritées en vertu du droit formel, mais selon des pratiques coutumières basées sur les liens de parenté. Dans les systèmes patrilinéaires, la terre appartient à la famille des hommes et est héritée par la lignée paternelle.

En Zambie, de nombreux groupes ethniques suivent un système matrilinéaire, selon lequel les femmes possèdent des terres et les transmettent par la lignée maternelle.

Mais la possession de terre ne se signifie pas nécessairement y avoir accès, pouvoir l'utiliser et la contrôler. Même dans les sociétés matrilinéaires, les normes sociales et de genre compromettent le pouvoir de décision des femmes. Traditionnellement, quel que soit le système, patrilinéaire ou matrilinéaire, les hommes ont l'autorité sur les ressources du foyer, y compris la terre, de sorte que lorsqu'il s'agit de droits fonciers, les femmes sont laissées pour compte.

En Zambie, dans les systèmes traditionels, les chefs coutumiers et leurs conseillers - appelés indunas – ainsi que les chefs de village attribuent les terres. Ces chefs coutumiers sont généralement des hommes et, en tant que gardiens de la tradition et de la culture, ils influencent fortement la persistance ou le changement des normes et pratiques de genre néfastes.

Conscient de leur influence, le programme "Gouvernance intégrée des terres et des ressources", financé par l'Agence américaine pour le développement international (USAID), a piloté une approche visant à inciter ces chefs traditionnels à modifier les normes de genre néfastes et à renforcer les droits fonciers des femmes dans la province orientale de la Zambie, afin de soutenir un processus parallèle de documentation foncière systématique. Quatre-vingt-seize indunas et chefs de village (32 % de femmes) de sept chefferies ont participé à une série de dialogues en trois parties qui ont duré un an.

Ces dialogues ont fourni aux indunas un espace sûr pour réfléchir et prendre des mesures positives. La première session a analysé les inégalités entre les sexes en matière de propriété, d'accès et de contrôle des terres. La deuxième session a permis d'envisager le changement souhaité par les indunas et leur rôle dans la réalisation de ce changement. Lors de la dernière session, les indunas ont discuté des réalisations et des défis de l'année.

Le dialogue mène à l'action

Grâce aux dialogues, les indunas ont pris des mesures prometteuses pour faire évoluer les normes de genre qui entravent les droits fonciers des femmes. Dans cinq chefferies, les indunas ont facilité les discussions locales sur les traditions néfastes, comme le fait d'envoyer les divorcés et les veuves loin des villages.

Ces forums de discussion ont provoqué une augmentation du nombre de femmes qui ont porté leur cas à l'attention du chef. Dans quatre chefferies, les indunas ont rédigé des règlements soutenant les droits fonciers des femmes et interdisant l'accaparement des terre.

Certains indunas, qui sont désormais favorables à la modification des registres fonciers afin de refléter les terres données aux femmes, se sont adressés aux tribunaux traditionnels pour les sensibiliser à ce changement. Dans la chefferie patrilinéaire de Nzamane, une femme - pour la première fois dans l'histoire - a été nommée chef de village avec pleine autorité et pouvoir de décision.

Une femme chef de la chefferie de Nyamphande s'est attaquée à une forme urgente de violence sexiste liée à la terre: l'utilisation des rites funéraires traditionnels pour refuser aux veuves l'accès aux terres de leur conjoint décédé.

Les indunas et les chefs de village qui ont participé aux dialogues ont encouragé les hommes de leurs communautés à inclure leurs épouses dans les documents fonciers. Et les indunas ont montré l'exemple en s'engageant à partager leurs propres terres avec leurs épouses et leurs enfants, garçons et filles.

L'induna Jacob Phiri, de la chefferie de Mnukwa, a été le premier à partager sa terre après la première session de dialogue, en déclarant : "Ma femme avait accès à ma terre et y plantait les cultures de son choix, mais je n'avais jamais pensé à ce qui pourrait lui arriver si je mourais. Je savais que je devais agir pendant que j'étais encore en vie, alors je lui ai donné une portion de terre qui lui appartiendrait. Après cela, je me suis senti capable de dire aux gens de mon village de faire de même.

Tous les indunas n'adhèrent pas au changement

Malgré des changements prometteurs dans les comportements et les normes de genre, de nombreux indunas n'ont pas soutenu le changement - ils se sont mis en retrait ou ont même tenté de bloquer et de décourager ceux qui voulaient le faire avancer.

Bien que le fait de réunir des indunas de différentes chefferies visait à favoriser la collaboration, l'initiative pilote a révélé que l'action individuelle des indunas était beaucoup plus efficace que l'action collective.

Certains indunas ont résisté aux changements de normes sociales, et il est important d'investir plus de temps pour aider les indunas et les chefs à mieux comprendre les normes de genre existantes qui doivent être changées avant de passer à la planification et à la mise en œuvre.

Le changement commence par la communauté

Le projet pilote a montré que l'évolution des normes de genre néfastes au niveau communautaire est cruciale pour aider les femmes à accéder aux droits fonciers. Compte tenu de leur rôle de régulateur de la culture locale et de conseiller de l'autorité traditionnelle en matière d'administration des terres, les chefs coutumiers tels que les indunas et les chefs de village sont un point d'entrée essentiel pour ce changement.

Le changement peut être lent. Mais les espaces de dialogue, la réflexion critique et le soutien à la planification des actions ont permis aux indunas non seulement de changer leurs propres croyances, mais aussi de commencer à voir leur rôle et leurs communautés sous un jour différent.


Ce blog et les trois suivants de cette série sont des contributions du programme "Gouvernance intégrée des terres et des ressources", financé par l'USAID. Ce programme met en œuvre une série d'activités liées aux droits fonciers des femmes dans six pays : Ghana, Inde, Liberia, Malawi, Mozambique et Zambie.

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Patricia Malasha est conseillère en matière de genre et d'inclusion sociale pour le programme "Gouvernance intégrée des terres et des ressources" en Zambie

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