Des droits fonciers traditionnels aux baux emphytéotiques : une juste compensation ?

Face au déplacement provoqué par des projets d'aménagement à grande échelle, peut-on employer des solutions juridiques innovantes pour protéger les droits fonciers des exploitants familiaux ?

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Jamie Skinner
Principal researcher in IIED's Natural Resources Group and team leader of the institute's work on water issues.
02 June 2015
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Global Water Initiative – Afrique de l'Ouest
La Global Water Initiative a cherché à améliorer la sécurité alimentaire mondiale en permettant aux agriculteurs de mieux accéder, gérer et utiliser les ressources en eau pour une production agricole durable
Consultation of local communities affected by the Kandadji dam about long-term leases to secure land tenure (Photo: GWI West Africa)

Consultation des populations affectées par le barrage de Kandadji sur la question du bail emphytéotique comme outil pour la sécurisation du foncier irrigué (Photo: GWI Afrique de l’Ouest)

La gestion du foncier est une question sensible et fort complexe en Afrique de l'Ouest et tout particulièrement au Niger.

Dans ce pays du Sahel, la législation qui reconnaît les droits de propriété privée conférés par un régime coutumier a été consacrée depuis les 20 dernières années (seulement Anglais) dans le Code rural du Niger promulgué en 1993. Aujourd'hui, comme dans beaucoup d'autres pays, le Niger rencontre des difficultés dans la mise en œuvre de vastes projets d'aménagements agricoles qui veulent encourager l'agriculture familiale tout en attirant les investissements privés.

Le barrage de Kandadji

Pour preuve, le projet de barrage de Kandadji et son programme agricole qui vise la réalisation de 45 000 hectares de terres irriguées destinées à des exploitants familiaux et à des investisseurs agricoles. Les terres de culture actuellement sur le site du futur barrage appartiennent à des familles dont les droits de propriété sont généralement conférés par tradition orale et le plus souvent non documentés. 

Pour construire le barrage, l'État nigérien aura besoin d'exproprier quelque 38 000 personnes qui détiennent des droits coutumiers sur ces terres. Il investira ensuite des fonds publics à hauteur de 15 000 dollars US par hectare afin d'aménager les terres en un périmètre d'irrigation pour la culture intensive de riz en vue de couvrir les besoins nationaux de sécurité alimentaire.

La Global Water Initiative (GWI) en Afrique de l'Ouest travaille avec le Haut-Commissariat en charge de la construction du barrage depuis 2009 pour tenter de résoudre les problèmes juridiques et d'équité sociale que soulève ce programme.

Garantir une compensation « juste et préalable »

La loi du Niger exige une compensation « juste et préalable » pour les terres ayant fait l'objet d'une expropriation pour cause d'utilité publique. La difficulté à Kandadji réside dans la manière de transférer les droits existants sur des terres coutumières au niveau des périmètres d'irrigation publics qui seront réalisés, et dont les terres appartiennent légalement à l'État. 

Dans les 75 périmètres d'irrigation existants au Niger, par exemple, les agriculteurs peuvent perdre leurs terres s'ils ne s'acquittent pas de la redevance d'eau annuelle. La location, la cession à bail ou la vente de terres sont interdites et il n'existe pas de règles claires en matière d'héritage. Autant d'éléments qui se traduisent par une insécurité foncière, à la différence des droits sécurisés et reconnus par la législation que confèrent la tradition orale sur les terres coutumières. 

La GWI a contribué à documenter tous les droits existants sur les terres coutumières dans la zone affectée par le projet de Kandadji pour proposer un moyen juridique, afin de dédommager les propriétaires terriens traditionnels de manière « juste » avec des terres appartenant à l'État. Nous y sommes parvenus en nous appuyant sur la législation existante, qui dans un cas précis remonte à 1902. 

Deux types de bail offrent une solution possible

La GWI a entrepris quatre grands chantiers pour soutenir la planification de cette transition pour les 5 000 personnes touchées par la première vague de réinstallation à Kandadji, dans le but d'offrir des droits consolidés aux personnes réinstallées sur les périmètres irrigués publics : 

  • Un examen des dispositions légales en matière d'expropriation qui a permis d'établir le fondement juridique des changements à venir à Kandadji et fourni un appui à une décision politique sur la question de savoir si les périmètres d'irrigation relevaient du « domaine public » ou du « domaine privé » de l'État. C'est la première option qui a été retenue.
  • Une proposition de bail emphytéotique pour les propriétaires fonciers coutumiers assorti du niveau maximum de droits transférés depuis leurs terres traditionnelles (droit de vendre, d'hériter, de louer ou de disposer du bail comme ils l'entendent, renouvellement automatique à expiration, etc.)
  • Un processus de consultation avec les 38 000 personnes dans les 31 villages affectés afin de recueillir les points de vue et les réactions à cette proposition de bail emphytéotique, et pour accepter ou rejeter officiellement ce type de contrat proposé.
  • Une proposition d'un second type de bail pour les quelque 60 % d’agriculteurs qui ne sont pas des propriétaires traditionnels mais qui ont vécu dans la région depuis des décennies et ont établi leurs droits de mise en valeur sur des terres traditionnellement possédées par des tiers. 

L'Office national des aménagements hydro agricoles (ONAHA) travaille actuellement avec la GWI pour élargir le second type de bail à l’ensemble des agriculteurs (qui ne sont pas propriétaires) sur tous les nouveaux périmètres irrigués au Niger.

Les agriculteurs des périmètres existants bénéficieront aussi de ce dernier type de bail. Pour ce faire, l'État doit formaliser sa propriété juridique sur les 14 000 hectares existants de terres irriguées qu'il gère à l'échelle nationale – un processus qui va exiger des levés de terrain, un bornage et une immatriculation officielle des terres. Jusqu'à présent, le gouvernement n'a pas satisfait à toutes ses obligations juridiques en matière d'immatriculation foncière, ce qui a occasionné des revendications de la part d’exploitants par rapport à leurs droits traditionnels exercés sur les terres des aménagements hydro agricoles (AHA).

Compenser au lieu de reproduire les droits

Les droits qui ne sont pas transférés aux termes de ces nouveaux baux sont les suivants :

  • Les droits de propriété foncière proprement dits (les agriculteurs propriétaires jouiront d'un bail emphytéotique)
  • Le droit de construire des bâtiments
  • Le droit de vendre la terre (mais il est toutefois possible de céder le bail).

De par la tradition, les agriculteurs avaient la possibilité de décider de ne pas mettre leurs terres en valeur. Cette option n’est plus faisable sur un périmètre irrigué collectif car la mise en valeur devient une obligation du bail emphytéotique. Toutefois, comme ce bail peut être sous-loué ou cédé, les agriculteurs qui ne sont pas en mesure de mettre en valeur leurs terres (pour quelque raison que ce soit) peuvent tout de même recevoir un revenu de leurs terres. 

Sur les grands aménagements irrigués, les agriculteurs doivent aussi souscrire à des obligations auxquelles ils échappent actuellement sur les terres traditionnelles, comme par exemple le fait d'adhérer à la coopérative agricole locale, de participer aux activités de maintenance des infrastructures et d'entretenir la qualité du sol.

Besoin de mise à jour de la législation foncière

Depuis les années 1950, l'État a souvent « imposé » des périmètres irrigués aux propriétaires terriens locaux (en fonction du régime politique au pouvoir à l'époque). Mais à présent, la règle de droit et la confiance accrue des propriétaires en leurs droits coutumiers obligent l'État à codifier et à légaliser ses investissements actuels et futurs en immatriculant les terres et en négociant avec les agriculteurs des contrats ou des baux de longue durée aux règles claires.

L'analyse juridique appuyée par la GWI et ses partenaires au Niger montre qu'il y a toutefois des incohérences au sein de la législation foncière, notamment en ce qui concerne l'expropriation, la compensation, le statut des terres publiques et l'irrigation. Ce constat suggère le besoin de mettre à jour et d'harmoniser toute la législation en la matière afin d'affiner le cadre juridique et d'aider chaque partie à mieux comprendre ses droits et ses obligations.

Pour en savoir plus : La Global Water Initiative (GWI) en Afrique de l'Ouest : Niger   

About the author

Jamie Skinner (jamie.skinner@iied.iorg) est chercheur principal dans le Groupe sur les ressources naturelles à IIED et chef d'équipe sur la thématique de l'eau

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