Une série de blogs s'interroge sur les grands principes qui contribuent à renforcer les droits fonciers des femmes

Une nouvelle série de blogs basée sur nos travaux de recherche en Afrique de l'Est et de l'Ouest passe en revue un ensemble de principes qui, selon nous, contribuent à renforcer les droits fonciers des femmes. Dans ce blog, Philippine Sutz, de l'IIED, nous explique à quoi s’attendre.

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Insight by 
Philippine Sutz
Consultante associée (équipe legal tools) au sein du groupe de recherche sur les ressources naturelles de l’IIED
15 October 2020
Collection
What works for women’s land rights?
A series of insights looking at ways to strengthen women’s access to and control over land in Africa
Women using hoes in a crop field in Kilosa, Tanzania.

Women using hoes in a crop field in Kilosa, Tanzania. Access and control over land is essential to strengthen the rights of African women farmers (Photo: Mitchell Maher/International Food Policy Institute via FlickrCC BY-NC-ND 2.0)

La terre est la source principale des moyens de subsistance pour la majorité des femmes et des hommes dans les zones rurales en Afrique. Il s’agit d’une ressource essentielle à la sécurité alimentaire et à la génération de revenus. Pour les femmes, compte tenu de leur rôle prépondérant dans la production alimentaire, les droits d'accès et de contrôle sur la terre sont donc cruciaux.

Au cours des 15 dernières années, la pression sur les terres en Afrique subsaharienne a considérablement augmenté du fait d’un certain nombre de facteurs, tels que l’intensification de l'agriculture commerciale, le changement climatique, l'urbanisation et la croissance démographique. Des travaux de recherche (PDF) indiquent que ces pressions ont tendance à affecter les femmes de façon plus sévère car ces dernières ont peu de contrôle sur les terres qu'elles utilisent habituellement.

Vingt-cinq ans après l'adoption de la Déclaration et du Programme d'action de Beijing (PDF), « le plan le plus novateur jamais élaboré pour faire avancer les droits des femmes » (ONU Femmes), l’importance du rôle joué par les droits fonciers des femmes dans leur émancipation est largement reconnu et les engagements internationaux en faveur des droits fonciers des femmes n'ont jamais été aussi importants.

Les cibles du cinquième objectif de développement durable – réaliser l'égalité des sexes et l'autonomisation de toutes les femmes et les filles - font explicitement référence à l'accès et au contrôle des femmes sur la terre, et les initiatives telles que la campagne « Stand for Her Land » (« Défendre sa terre » dans la traduction française) se multiplient. Toutefois, il n'existe toujours pas de preuves tangibles ni de consensus quant aux stratégies susceptibles de renforcer le plus efficacement possible les droits fonciers des femmes.

Au cours des six dernières années, l'IIED a travaillé à la promotion d'une gouvernance foncière équitable pour les femmes en Afrique subsaharienne. Avec nos partenaires locaux, nous avons fait la synthèse des systèmes et pratiques juridiques en vigueur au Sénégal, au Ghana, au Kenya et en Tanzanie ; nous avons cartographié les initiatives existantes et testé et développé de nouvelles approches permettant de renforcer la voix et la participation des femmes dans les processus de gouvernance foncière au niveau local.

En Tanzanie, notre partenaire, la Tanzania Women Lawyers' Association (TAWLA), a apporté son soutien à l'adoption de règlements villageois prenant en compte la dimension genre afin de promouvoir la participation des femmes dans les instances de décisions dans l'ensemble des villages du district de Kisarawe ; tandis qu'au Sénégal, IED Afrique a encouragé la participation des femmes dans les commissions domaniales.

Complexités

Ce qui contribue à renforcer les droits fonciers des femmes fait l’objet de débats animés entre chercheurs et praticiens depuis plus de deux décennies.

Certaines organisations plaident en faveur de l’octroi de titres individuels (ou conjoints) comme solution " passe-partout " permettant de renforcer les droits fonciers des femmes à l'échelle internationale. Bien que ces outils puissent être utiles dans certaines circonstances, nos travaux de recherche nous ont appris que la gouvernance foncière et les questions de genre varient considérablement en fonction du lieu et du moment : il n'existe donc pas de solution " standard ".

Notre expérience nous a également appris que le "comment" importe souvent autant, sinon plus, que le "quoi". Cela signifie que le processus lui-même, comme par exemple le fait que ce dernier soit inclusif et participatif, est potentiellement plus important que l’issue dudit processus – tel que la délivrance d'un titre ou la création d'un comité.

Principes fondamentaux qui renforcent les droits fonciers des femmes

Dans le cadre de nos travaux, nous avons identifié un certain nombre de principes fondamentaux qui, selon nous, sont susceptibles de renforcer les droits fonciers des femmes, indépendamment du contexte, du type de régime foncier et du type de ‘produit’ résultant de l’intervention. Nous considérons que ces principes devraient jouer un rôle proéminent dans le cadre de toute intervention visant à renforcer les droits fonciers des femmes.

  • Les femmes doivent pouvoir jouer un rôle actif dans la prise de décision en matière de foncier tant au niveau des institutions locales qu’au sein des ménages. Cela signifie que les femmes doivent pouvoir avoir leur mot à dire sur la façon dont les terres de la communauté ou de la famille sont utilisées ou gérées, comme par exemple sur la question de savoir si oui ou non les céder ou encore décider quelles semences y faire pousser.
  • Les femmes (comme les hommes) doivent pouvoir bénéficier d’une autonomisation juridique. Souvent, les femmes (comme les hommes) manquent d’information sur la nature des droits fonciers qui leur sont octroyés par les systèmes juridiques nationaux, ainsi que sur la façon de les exercer de manière efficace. Ils ne sont donc pas toujours en mesure de faire valoir leurs droits devant les institutions locales ou nationales. Il est donc nécessaire de renforcer leur autonomisation juridique.
  • Les femmes doivent avoir une confiance en elles suffisante afin de pouvoir s'exprimer et revendiquer leurs droits. Quand bien même les femmes connaissent leurs droits, les contraintes socioculturelles font qu'il leur est parfois difficile de les revendiquer. Les femmes doivent donc être accompagnées afin de développer une confiance en elles leur permettant de revendiquer leurs droits en toutes circonstances. 
  • Impliquer les hommes – lorsqu’une intervention bénéficie l’ensemble des membres d’une communauté, la cohésion sociale en résulte renforcée. Toute communauté étant habituellement composée d’un ensemble de femmes et d’hommes, il est important que ces derniers ne se sentent pas exclus car cela pourrait entraîner des tensions intracommunautaires. De plus, il est important de rappeler que les hommes sont également confrontés à des problèmes de gouvernance foncière ; il est donc fondamental que toute intervention vise à renforcer la gouvernance foncière pour tous.
  • Garantir l'appropriation des outils au niveau local. Pour assurer la durabilité et la légitimité d’une intervention, les membres d’une communauté, y compris les autorités locales et traditionnelles, doivent pouvoir se les approprier et en valider la légitimité. 
  • L’existence de systèmes de gouvernance foncière solides et participatifs. Les femmes ne peuvent bénéficier de droits fonciers effectifs en dehors de tout cadre – ces derniers doivent s'inscrire dans un système de gouvernance foncière participative et robuste. 
  • Les groupements de femmes et leur action collective peuvent jouer un rôle déterminant. Les faits montrent que lorsque les femmes font partie d'un groupe ou d'une association, elles ont tendance à avoir plus d'influence et de pouvoir, ce qui facilite leur accès à la terre.

Au cours des six prochains mois, nous allons – avec nos partenaires TAWLA et IED Afrique – explorer ces principes plus en détail à travers une série de blogs. Les blogs exploreront ces principes ainsi que la manière dont ils sont mis en œuvre dans des contextes donnés.

Le mois prochain, Ibrahima Dia d'IED Afrique discutera du rôle joué par les groupements de promotion féminine au Sénégal, tandis que le mois d’après, Isabella Nchimbi de TAWLA examinera comment les règlements villageois peuvent aider à " ancrer le droit au niveau local " en Tanzanie et renforcer l’autonomisation juridique des femmes. Restez à l'écoute !

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Philippine Sutz est consultante associée (équipe legal tools) au sein du groupe de recherche sur les ressources naturelles de l’IIED

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